< PreviousFINANCEMENT MUR DE LA DETTE OU VALEUR VERTE uand le coût du financement dépasse les 5 %, on ne peut pas ache- ter à 4 %. » La sentence, sortie tout droit de la bouche d’un ban- quier, ne laisse pas place au doute. Avec un swap Euribor à 5 ans passé de 0 à 3 % l’espace d’un été, les “deals excel” ont commencé à vaciller, d’autant que la vitesse et la brutalité de la remontée des taux d’intérêts a surpris absolument tous les acteurs du marché, partout dans le monde. Les coûts d’emprunt ont tout simplement atteint leur plus haut niveau depuis plus de dix ans. « Le swap à 5 ans devrait rester durable- ment au-dessus de 2 % et un large consensus existe, pour dire que la pé- riode des taux d’intérêts négatifs est maintenant derrière nous », soutient Benjamin Richard, general manager d’Aareal Bank à Paris. Ce lightspeed, à savoir la vitesse à laquelle ces taux sont remontés, a tétani- sé plus d’un investisseur immobilier, dont les maturités des financements Par Sophie DA COSTA 50 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net © Andrii Yalanskyi - AdobeStocks’étendent le plus souvent autour de cinq ans. Autant dire que pour ceux qui ont acheté en haut de cycle, autrement dit à partir de 2017, la question du refinance- ment devient aujourd’hui une priorité. « Les institutionnels vont probablement devoir recourir à des fonds propres, soit autant de capitaux qui n’iront pas dans de nouveaux investissements », anticipe un avocat. À moins de consentir à vendre leurs actifs (décotés) ou de se tourner vers des fonds alternatifs, aux coûts plus élevés. Selon nos informations, la tour Adria à La Défense s’est ainsi refinancée auprès de Cale Street à un taux autour de… 8,6 % ! 51 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net52 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net Les levées des fonds de dette ralenties C ela dit, les écarts commencent aussi à se réduire entre les prêteurs traditionnels et les alternatifs, compte tenu de l’évolution des taux d’intérêts… Réaction tout aussi classique en temps de crise : plusieurs banques se replient sur leurs marchés domestiques, délaissant les profils de risque moins sécurisés et réduisant l’effet de levier disponible sur les nouveaux prêts. « La concurrence étant moindre, cela pourrait exercer une pression à la hausse sur les marges », avance DWS. À la rentrée, certains acteurs ont ainsi vu les marges osciller de 90 à… 190 pdb ! La levée de fonds de dette immo- bilière est tout aussi compliquée par le contexte macro, entraînant un repli de -20 % de la dry powder sur ce marché selon l’investisseur alle- mand. Conséquence : des critères d’obtention plus stricts, des LTV plus faibles accordés par les prêteurs seniors, mais ouvrant des opportu- nités pour les juniors. Entrecroisement des courbes de taux d’intérêt et de capi D epuis 2002, jamais la courbe des taux d’intérêts et celle des taux de capi ne s’était croisée. « Mais comme les coûts d’em- prunt tout compris approchent ou dépassent même dans certains cas les rendements de la valorisation, certaines clauses financières sur les prêts existants pourraient devenir tendues », Source : DWS - octobre 2022 FINANCEMENT53 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net note avec prudence DWS. Ce n’est aujourd’hui pas tant le ratio de LTV qui importe les professionnels que les ICR, à savoir le ratio de couverture des intérêts, utilisé pour déterminer dans quelle mesure un acteur peut les payer sur ses dettes en cours. La très rapide remontée des taux pèse clairement sur ces ICR, insuffisants pour cou- vrir les charges. « Au numérateur, il y a le loyer net, ex- plique Benjamin Richard. Au dénominateur, le coût de la dette. Dans le contexte actuel, le dénominateur augmente vite, surtout dans le cas de taux variable non couverts, tandis qu’au numérateur, soit la progression des loyers est moins rapide, soit les immeubles se vident, avec un risque additionnel à venir, concernant la solvabilité de certains locataires en période de récession. » Aucune émission obligataire depuis fin août D ans le monde du coté, l’impact de la hausse des taux est déjà acté outre-Manche, où les sociétés d’investissement immobilier cotées ont commencé à arbitrer pour se désendetter, faute de quoi leur Ebitda peut se retrouver divisé par deux. « Lorsque les cours de bourse disent que les actifs valent 25 % de moins que les valeurs d’expertise, cela met forcément les ni- veaux d’endettement sous pression », rappelle un pro- fessionnel du secteur. « Depuis fin août, il n’y a pas eu d’émissions obligataires en immobilier car ce marché est cher et très volatil, constate Emmanuelle Bons- Barreau, head of real estate capital markets France de BNP Paribas. Mais entre les prêteurs classiques et les alternatifs, nous savons aujourd’hui tout couvrir. La dette senior va souffrir car les valeurs vont baisser, mais on peut combler avec des prêteurs alternatifs et même faire du quasi equity », rassure-t-elle. > SUR CFNEWS IMMO À LIRE AUSSI Le swap à 5 ans devrait rester durablement au-dessus de 2 %. Benjamin Richard, Aareal Bank. DE GRANDES TENDANCES SUR LE MARCHÉ ocalisés sur les transactions portant sur les murs, les professionnels de l’immobilier en oublient parfois un autre pan très révélateur des ten- dances à l’œuvre dans le real estate : le M&A. Les opérations corpo- rate, qui ne font l’objet de quasi aucune étude sur le segment de l’immobilier non coté, constituent pourtant l’un des importants leviers actionnés par les acteurs pour changer de taille ou diversifier leurs activités, qu’elles soient sec- torielles ou géographiques. Quels sont les enseignements ou trends à tirer de Par Sophie DA COSTA M&A 54 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net © STOATPHOTO - AdobeStock55 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net Equity à risque R appelons que le modèle de la promotion immobilière française est historiquement basé sur l’équation suivante : les promoteurs, très averses au risque dans l’Hexagone, se positionnent sur un foncier sous condition de permis, sous condition de financement et après avoir at- teint un certain taux de pré-commercialisation (≈30-40 %). Ce modèle leur permet de mobiliser très peu d’equity, dans une industrie pourtant très capitalistique. Mais la donne a changé et la hausse brutale des taux d’intérêts met à mal ce modèle. D’autant qu’on pourrait croire que, dans un contexte de marché où les coûts de financement et de construc- tion augmentent, la variable d’ajustement du prix du foncier pourrait évoluer. Il n’en est rien. La rareté des terrains, couplée à la très forte demande et la nouvelle anticipation d’une “zéro artificialisation nette” des sols, maintient les prix à des niveaux élevés. Conséquence : non seulement les promoteurs décident désormais de se positionner sur du foncier à risque (autrement dit sans permis), mais doivent mobiliser une part plus importante d’equity (à risque elle aussi). C’est ce qui explique une nouvelle tendance sur le marché : la levée de fonds sur la thématique du portage foncier. L’idée ? Sécuriser ce foncier, clé de leur business, en structurant des véhicules d’investissement dédiés à l’acquisition de fonciers, qui pourront apporter 80 % de l’equity néces- saire en échange de TRI suffisamment attractifs pour les LPs. Le pro- moteur n’a plus qu’à apporter les 20 % de fonds propres restants. Une fois le permis de construire obtenu, il peut racheter le terrain ou faire une opération de co-promotion avec le fonds. Plusieurs véhicules sont aujourd’hui en cours de structuration, d’après nos sources. La distribution des produits financiers se cherche aussi, tout comme le modèle des SCPI 100 % digitale. cette année si singulière qu’est 2022 en la matière ? Il y en a plusieurs et au premier rang ceux qui concernent les promoteurs. L’un des exemples les plus spectaculaires est la façon dont se comportent les valorisations des majors cotés. Avec un taux mid swap passé à 3,3 % et des banques qui de- mandent une couverture sur 100 % de leurs financements, les promoteurs se valorisent désormais entre 5 ou 6x l’Ebitda, là où avant crise, le multiple variait entre 8 et 10x. 56 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net Le distressed dans la promotion U ne autre tendance de marché, moins heureuse, est aussi déjà à l’œuvre sur le marché de la promotion immobilière : les dossiers distressed. Leur industrie se grippant du côté de la capacité de financement des primo-accédants, de la hausse des coûts de construction et du prix du foncier toujours aussi élevé, certains promoteurs ayant acquis des terrains à risque sur leur bilan commencent à voir leur structure vaciller. D’autant plus qu’ils ne peuvent plus compter, pendant un temps non déter- miné, sur les institutionnels, en pause sur leurs investissements, particulièrement ceux portant sur le résidentiel (lire notre article à ce sujet en p.40). Pour financer leur développement, certains promoteurs ont aussi fait le choix ces dernières années des financements corporate, parfois sans couverture de taux. Des dettes à échéance qu’il va bien falloir rembourser, quand bien même leurs projets tardent à sortir. Une nouvelle donne qui pourrait servir une autre grande tendance : la poursuite de l’ins- titutionnalisation des plateformes de crowdfunding, pourvoyeuses de financements à destination des promoteurs, à l’exemple d’Homunity désormais logée chez Tikehau ou de Fundimmo chez Atland. « La distribution des produits financiers se cherche aussi, tout comme le modèle des SCPI 100 % digitales. Là aussi, il pourrait y avoir du mouvement », assure un spécialiste des fusions-acquisitions. Toujours de l’appétit pour les asset et fund managers ? D ans le M&A, il est une autre dynamique qui s’est largement installée ces dernières années : l’intérêt que portent les grandes institutions financières, les fonds de private equity ou les gérants non immobiliers pour l’acquisition de fund et/ou d’asset managers. Ce, dans une logique de proposer une offre mul- ti-asset. L’intérêt reste, mais il est désormais suspendu à une importante inter- rogation : quels seront les niveaux des collectes retail et institutionnelles l’an prochain ? Notamment avec l’arrivée certaine de produits financiers concurrents, tout aussi sécurisés, promettant des taux similaires, à savoir 4 ou 4,5 % de ren- dement. Rappelons que les fund managers se rémunèrent sur cette collecte… D’après nos sources, la valorisation d’un asset ou d’un fund manager oscille aujourd’hui entre 9 et 14x son Ebitda, selon qu’ils touchent des fees sur l’asset ou pas, sur le property management (ou pas), sur une clientèle retail (ou pas)... M&A57 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.net L’acquisition de plateformes L ast but not least, l’appétit pour l’acquisition de plateformes d’actifs reste toujours aussi important, inspiré par la reprise de l’exploitant de résidences étudiantes Kley par Axa IM Alts. « Ne parvenant pas à générer suffisamment de rendement avec le seul actif immobilier, les fonds veulent ajouter de la marge opérationnelle. Non seulement elle améliore ce rendement mais l’acquisition de plateformes permet aussi le développement d’autres actifs, note un banquier d’affaires. Cette ten- dance s’inscrit dans la logique des opérations réalisées par des fonds de private equity dans la promotion immobilière, afin de remonter la chaîne de valeur en amont. Les exemples de M&A sont légion : Aermont avec LNC, Oaktree avec Coffim, BC Capital Partners Real Estate avec Alsei… Ce dernier a également déjà réalisé une opération sur une plateforme, en prenant part à la levée d’Edgar Suites. KKR également avec Newton Of- fices. « Les professionnels raisonnent sur le yield on cost, à savoir combien va me coûter la construction d’un actif, en intégrant la marge de construction ? En acquérant une plateforme, ils agrègent à la fois une marge immobilière et une marge opérationnelle. » Dans le coliving, dans le senior living, ou dans les résidences étudiantes, plusieurs dossiers sont déjà à l’étude. > SUR CFNEWS IMMO À LIRE AUSSI Dans le coliving, dans le senior living, ou dans les résidences étudiantes, plusieurs dossiers d’acquisition sont déjà à l’étude. © Halfpoint - AdobeStockAgathe Zilber (à droite), Présidente de CFNEWS Média Group a ouvert la 6 e édition des Grands Prix CFNEWS IMMO en compagnie de Sophie Da Costa, Rédactrice en Chef de CFNEWS IMMO et de Guillaume Gouot, Chef de Service de CFNEWS IMMO. 58 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.netHUIT GRANDS LAURÉATS PLUS DE 350 PERSONNALITÉS DE L’IMMOBILIER SONT VENUES ASSISTER À LA SIXIÈME ÉDITION DES GRANDS PRIX CFNEWS IMMO, QUI, CETTE ANNÉE, A VU HUIT GRANDS LAURÉATS RÉCOMPENSÉS POUR LEURS OPÉRATIONS IMMOBILIÈRES FINALISÉES EN 2021. LE JURY LES A DISTINGUÉS PARMI DES CENTAINES D’OPÉRATIONS. GRANDS PRIX CFNEWS IMMO 2022 59 © Tous droits réservés CFNEWS IMMO - MAGAZINE - Décembre 2022 www.cfnewsimmo.netNext >